"Alors que la rentrée universitaire va bientôt avoir lieu, il est intéressant de réfléchir au rôle que les universités jouent au sein de notre société. Le musée des beaux-arts de Nancy recèle une magnifique tapisserie de Jean Lurçat, datant de 1958, et s’intitulant « La Lutte du Savoir contre l'Ignorance ». Ce chef d’œuvre met en scène deux personnages en combat et la pancarte muséographique explique qu’ils rappellent la mission fondamentale de l’Université : lutter contre toutes les formes d’ignorance et offrir à tous les savoirs et la sagesse. Ce rappel salutaire fait beaucoup méditer et semble nous inviter à une réflexion sur la place de l’Université dans la Cité et ce qu’elle pourrait être demain.
Aujourd’hui, plus que jamais, si l’Université veut mener à bien sa mission, il va lui falloir développer une véritable « responsabilité territoriale »[1]. On peut définir la « responsabilité territoriale » comme « le fait qu’aucun acteur au sein d’un territoire ne se sente ni ne se comporte comme un îlot isolé au milieu de l’océan et travaille à la constitution progressive et sempiternelle d’un ensemble de « mariages improbables » avec les autres acteurs du territoire, de telle sorte que chaque partie prenante de ce territoire se pense et se comporte comme un écosystème à même de cultiver un maillage territorial, social, générationnel, sectoriel, éducatif et professionnel. La responsabilité territoriale s’exprime par l’hybridation[2] territoriale »[3].
Concernant l’Université, une « responsabilité territoriale » ne peut pleinement être exercée qu’au travers de la culture d’écosystèmes locaux riches et denses avec les entreprises, les associations, les institutions culturelles, le grand public ou encore les collectivités locales, constitutifs de nouveaux points de repères. La meilleure manière pour le Savoir de remporter son combat contre l’Ignorance est de s’instiller partout, dans toute la société. De la même manière que pour tous les autres acteurs d’un territoire, une université sera de plus en plus évaluée selon sa capacité d’hybridation, sa capacité à réaliser et à cultiver des « mariages improbables »[4] et sa capacité à créer des ponts entre les mondes ; or, pour ce faire, une université doit s’étendre le plus profondément possible, s’instiller partout et le plus diversement possible. C’est sa capacité à devenir elle-même un véritable écosystème qui fera sa force.
Sans compter qu’à l’aune des grandes transitions, - écologique, énergétique, démographique -, une université contribuera d’autant plus à faire avancer la recherche, la science, qu’elle est implantée dans des territoires divers. C’est ce positionnement, cette faculté à avoir un pied dans plusieurs mondes, qui lui permettra de démultiplier les terrains de recherche possible, de démultiplier les ressources, de démultiplier les partenaires et les financeurs possibles, de démultiplier les possibilités de transferts agricoles, serviciels ou encore industriels. Tout cela participera aux conditions de possibilité de la recherche, du progrès scientifique, de l’innovation. C’est en ce sens que les universités deviendront de véritables points de repère[5] au sein des territoires", Gabrielle Halpern
[1] Gabrielle Halpern, « Penser l’hospitalité », Editions de l’Aube, 2022. [2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020. [3] Gabrielle Halpern, « Penser l’hospitalité », Editions de l’Aube, 2022. [4] Gabrielle Halpern, Penser l’hybride, Thèse de doctorat en philosophie, 2019. [5] Gabrielle Halpern, « Penser l’hospitalité », Editions de l’Aube, 2022.
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