Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Le théologien protestant Sébastien Castellion écrivait en 1562 : « La postérité ne pourra pas comprendre que nous ayons dû retomber dans de pareilles ténèbres après avoir connu la lumière ». 1562. Ce cri de désespoir pourrait avoir été écrit aujourd’hui ou au siècle dernier, comme si nous étions condamnés à errer et que la promesse de progrès n’était qu’une illusion.
Alors que le terrorisme a frappé Israël, alors que le terrorisme a frappé la France, on peut se poser la question suivante : quel est l’aiguillon de ces ténèbres ? Qu’est-ce qui leur permet de venir, de revenir, de se déployer, de se répandre parmi nous, dans notre monde, dans notre époque, entraînant avec elles tant d’adeptes ? Il faut peut-être revenir aux travaux de la philosophe Hannah Arendt, qui répondrait à ces questions avec ce mot : idéologie. L’idéologie, explique-t-elle dans Les origines du totalitarisme, c’est la logique d’une idée. Il s’agit de partir d’une idée simple, d’une prémisse de départ, et d’en déduire une cascade de conséquences nécessaires. A partir du moment où une idée se veut, ou est voulue, principe d’explication du monde, elle engendre un système, une chaîne de causalité imparable, incontestable, implacable. Il n’y a plus ni échappatoire, ni contradiction possible dans le raisonnement qui en découle, ni dans les actes qui en découlent.
Je cite encore la philosophe : « L’argument le plus convaincant à cet égard, un argument que Hitler comme Staline affectionnaient particulièrement, est celui-ci : vous ne pouvez poser A sans poser B et C et ainsi de suite, jusqu’à la fin de l’alphabet du meurtre. C’est ici que la puissance contraignante de la logique semble avoir sa source ; elle naît de notre peur de nous contredire nous-mêmes (…). La force contraignante de l’argument est celle-ci : si vous refusez, vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes, et par cette contradiction, vous retirez tout sens à toute votre vie. Le A que vous posiez domine toute votre vie à travers les conséquences B et C qu’il engendre logiquement »[1]. Rien ne semble échapper à la tyrannie de cette idée, rien, pas même notre humanité. Mais Hannah Arendt nous donne aussi de l’espoir. Ce qui distingue l’être humain des autres animaux réside dans notre capacité à commencer quelque chose, à agir, à créer, à introduire de la nouveauté, un grain de sel ou un grain de sable pour enrayer toutes les mécaniques et tous les syllogismes. N’est-il pas temps d’inventer un nouveau scénario ?
[1] Arendt Hannah, « Le système totalitaire », Les origines du totalitarisme, Traduction de Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 222.
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