Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Pourquoi l’amour disparaît-il ? Pourquoi une amitié se termine-t-elle ? Par quels mécanismes un collectif fort et soudé se délite-t-il ? Il y a une forme d’énigme dans ces décompositions. Pour y réfléchir, plutôt que de faire appel aux psychologues, aux philosophes, aux anthropologues ou aux sociologues, c’est peut-être les chimistes qu’il nous faut convoquer. Et si cela peut sembler étrange, ce n’est pas n’importe quel chimiste qui pourrait nous aider ici… Mais un chimiste, un très grand chimiste, méconnu et pourtant, extraordinaire ! Il s’agit de Primo Levi[1].
Primo Levi n’est pas seulement l’auteur de « Si c’est un homme », il avait un doctorat en chimie et il était un grand scientifique. Son approche du monde, des choses et des relations humaines est particulièrement intéressante car influencée par la science à laquelle il avait consacré ses études et sa vie, à la fois en tant que chercheur et en tant que salarié puis chef d’entreprise. Pour lui, les êtres humains ressemblent beaucoup aux éléments chimiques, à moins que ce ne soit l’inverse… Certains éléments chimiques aiment se mélanger et leur mariage est fructueux, tandis que d’autres se haïssent et ne pourront jamais se rassembler. Certains éléments chimiques sont des solitaires dans l’âme, peut-être des misanthropes, et ne se mélangent jamais, tandis que d’autres acceptent de faire des pas de côté vers les autres, seulement si des conditions extraordinaires les rendent possible.
Dans son ouvrage « Le système périodique »[2] dont je vous recommande vraiment la lecture, - c’est un vrai chef d’œuvre ! -, chaque chapitre est voué à un élément chimique : carbone, phosphore, soufre, argon, calcium, fer, cobalt, argent, tellure. A partir des propriétés de chacun d’entre eux, Primo Levi raconte une histoire et cela mène à une forme de personnification de chaque élément chimique, voire d’anthropomorphisme. Si nous avions eu Primo Levi comme professeur de chimie, il me semble que nous serions tous devenus chimistes, car n’y a-t-il pas de plus belle manière que de nous enseigner ainsi le tableau de Mendeleïev ?
Les êtres humains sont comme les éléments chimiques : les alliages, les rapprochements se font sous certaines conditions atmosphériques, sous telle ou telle température… Les décompositions amoureuses, amicales, collectives seraient-elles dues aux changements atmosphériques, au sens figuré bien sûr ? Par quel ciment, par quel alliage, pourrions-nous redonner du souffle au creuset républicain ? Sous quelles conditions et par quelles températures pourrions-nous faire revenir les amours perdues, les amis éloignés ?
[1] Gabrielle Halpern, « La Fable du centaure », Humensciences 2022 – Une Bande dessinée illustrée par Didier Petetin. [2] Primo Levi, « Le système périodique », Le Livre de Poche, 1995.
Pour écouter la chronique en entier, diffusée le mardi 19 avril 2022, rendez-vous sur le site de RCJ: https://radiorcj.info/emissions/philosophie-gabrielle-halpern/
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