Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
En 1688, dans son ouvrage majeur « Les caractères », l’écrivain français Jean de La Bruyère écrivait que : « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent ». Cette phrase de Jean de La Bruyère, né en 1645 et mort en 1696 est sans doute l’une des plus frappantes qui soit. Frappante, au sens propre : elle frappe l’orgueil, elle peut frapper aussi l’enthousiasme, mais aussi, paradoxalement, toute tentation de pusillanimité, de paresse ou de lâcheté.
Oui, tout a déjà été dit, donc les soi-disant pionniers de la pensée ou de l’écriture n’ont qu’à bien se tenir ! Rien de tel pour découronner toutes nos idoles… Nietzsche ? Mais il n’a rien inventé ! Descartes, Montaigne ? Mais quels copieurs ! Et Socrate, n’en parlons pas ! Sans parler de nos contemporains… Ainsi donc le savoir aurait-il toujours été là, on n’inventerait jamais rien, on ne ferait jamais que redécouvrir, retrouver, reformuler. On pense vivre un événement unique et nouveau et on se rend compte que rien n’est jamais unique, ni nouveau ; ni les dictateurs, ni les virus, ni les crises économiques, ni les guerres, ni les révolutions, ni les chefs-d’œuvre.
Une fois que l’on a lu cette phrase de La Bruyère, on peut tomber dans « l’à-quoi-bon ? » : à quoi bon écrire ? A quoi bon penser, puisque l’on ne fait que re-penser, que ré-écrire, que re-dire ?
On peut aussi lire cette phrase comme un appel : toi qui es né trop tard, re-pense ! Ré-écris ! Re-dis ! Ne laisse aucun questionnement dans l’angle mort de ta génération ! Éclaire d’une lumière contemporaine tout ce savoir !
Il est là le devoir de ta génération : tout repenser à l’aune de ton siècle. L’éthique, l’amour, la liberté, la politique, la contradiction, la mort et surtout la vie ! Ne crois pas prétentieusement que tu pourras augmenter le savoir, comme on croit augmenter la réalité, mais pense que tu pourras lui donner un sens !
Oui, tout est dit, tout a déjà été dit, mais si tout n’est pas re-dit, alors tout devient absurde.
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