Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Et si nous découvrions un autre visage de Primo Levi ?
Il y a quelques temps, nous avons commémoré l’anniversaire de Primo Levi. Cette chronique lui est consacrée, car sa pensée est d’une impressionnante actualité. Mais ce n’est pas de l’auteur de « Si c’est un homme », dont je veux vous parler aujourd’hui. C’est du scientifique, du chimiste, qui a dirigé une usine pendant plusieurs dizaines d’années, c’est aussi de l’écrivain, auteur de romans, de nouvelles et de poèmes. Un Primo Levi que l’on connaît moins et qui a beaucoup à nous apprendre, aujourd’hui.
« Je suis un centaure », cette phrase, celui qui l’a prononcée, c’est Primo Levi. Il a très exactement dit : « je suis un amphibien, un centaure (…). Je suis partagé en deux moitiés : l’une est celle de l’usine, je suis un technicien, un chimiste. L’autre, c’est celle avec laquelle j’écris ».
Chimiste et écrivain. « Être chimiste aux yeux du monde et sentir couler dans mes veines un sang d’écrivain me donne le sentiment d’avoir deux âmes dans le même corps (…). Je suis resté une impureté, une anomalie en tant qu’écrivain franc-tireur, non pas issu du monde des lettres ou de l’université, mais de celui de l’industrie ». Primo Levi, parce qu’il était à la fois chimiste et écrivain, était dans deux mondes et entre deux mondes, éternel étranger, éternel traducteur, c’est le propre de tous les centaures.
Dans ses entretiens, Primo Levi revient à de nombreuses reprises sur cette dualité, cet « hybridisme » qui caractérise son destin, pour reprendre ses mots. Il raconte comment les compétences du chimiste, en particulier la clarté et la précision, nourrissent celles de l’écrivain. Et inversement. Il est passionnant de lire la manière dont il transpose les compétences d’un monde à un autre. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nombreuses crises et transitions, qui remettent profondément en question notre travail, et au-delà nos métiers. Plutôt que d’être enfermé dans une seule activité, Primo Levi nous montre qu’il ne faut pas hésiter à mélanger les mondes, à construire des ponts entre des activités radicalement différentes, et ce faisant, à augmenter chacune d’elle. Il y a là une forme de transgression généreuse et courageuse qui nous fait sortir de nos petites cases. En étant un chimiste-écrivain ou un écrivain-chimiste, Primo Levi nous inspire une autre forme de liberté.
Soyez architecte-jardinier, chanteur-mathématicien, politique-couturier, boulanger-comédien. N’hésitez pas à avoir deux âmes, trois âmes, mille âmes !
Comments