Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité
Victor Brauner au Musée d’art moderne de Paris, Léopold Chauveau au musée d’Orsay, Marc Chagall et Giuseppe Arcimboldo au Centre Pompidou de Metz ou encore Paul Signac au Musée Jacquemart-André… Qu’ont-ils en commun, tous ces peintres, auxquels les musées ont consacré ou consacrent actuellement une exposition? Ils sont, chacun à leur manière, des artistes de l’hybride.
L’hybride, c’est le mélangé, l’hétéroclite, le contradictoire, et c’est bien tout cela que leurs œuvres portent en leur sein. Professionnels du pas de côté, ils n’ont que faire des étiquettes, de ces cases artificielles dans lesquelles on tente, à marche forcée, de faire entrer la réalité. Les monstres de Chauveau dépassent du cadre comme les cinquièmes pattes des moutons, le Congloméros de Brauner nous étourdit avec ses inconnues qui font éclater toutes nos équations, sans parler des chèvres, des amants et des exilés volants de Chagall.
Peu importent les catégories falsificatrices, ils mélangent le sacré et le profane, le végétal et l’animal, la peinture et la musique, la cire et la terre, l’onirique et le réel, les corps et les têtes, le naïf et le tragique. Et c’est beau ! Ils nous emportent !
Ils réveillent en nous le centaure oublié. Ils nous offrent de nouvelles combinaisons des êtres, des choses, des courants et des styles artistiques, des arts, des genres, des matériaux, comme pour nous montrer, nous rappeler, que la vie peut toujours se combiner autrement que nous l’avions prévu… Ils n’ont que faire de notre obsession adulte de l’identité, qui nous empêche de voir le monde et qui nous fait découper la réalité en silos.
La covid-19 nous appelle pourtant à hybrider les gares et les musées (comme la Gare de Lyon avec le Petit Palais) pour libérer la culture ; les juristes et les designers pour créer de nouveaux contrats et mettre le droit au service de l’innovation ; les matières pour fabriquer des matériaux inédits et durables ; le scientifique, l’économique, l’administratif et le politique pour répondre au défi sanitaire. « Le jeu de l’art consiste à confondre les échafaudages, les nominations, les cellules, les superstructures », nous chuchote Nietzsche à l’oreille…
Croisons les secteurs, mélangeons les usages, confondons les produits et les services, brouillons tous les lieux pour en faire des tiers-lieux, métissons les métiers ! Ce n’est pas de la destruction créatrice, c’est de l’hybridation créatrice !
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