Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Le terme « idéologie » est actuellement mis à toutes les sauces, et il me semble plus qu’urgent de réfléchir à sa signification. La philosophe Hannah Arendt en propose une analyse très fine qui mérite que l’on s’y attache. L’idéologie, explique-t-elle dans Les origines du totalitarisme, c’est tout simplement la logique d’une idée. Il s’agit de partir d’une idée simple, d’une prémisse de départ, et d’en déduire une cascade de conséquences nécessaires.
L’idéologie est ce qui permet, je la cite, de « tout expliquer jusqu’au moindre événement en le déduisant d’une seule prémisse »[1]. C’est un principe d’explication, qui a une logique propre et qui n’a pas besoin de facteurs extérieurs pour avancer. Pratique, n’est-ce pas, quand on veut éliminer toute incertitude ! Ou quand on veut éliminer l’inexplicable et l’incompréhensible ! A partir du moment où une idée se veut, ou est voulue, principe d’explication du monde, - ou de la France ! -, elle engendre un système, une chaîne de causalité imparable, incontestable, implacable. Il n’y a plus ni échappatoire, ni imprévisibilité; et encore moins de contradiction possible. La force de l’idéologie, c’est ce qu’Hannah Arendt appelle le « sur-sens, qui donne au mépris de la réalité, sa force, sa logique, sa cohérence »[2]. Mépriser la réalité…
Je cite encore la philosophe : « L’argument le plus convaincant à cet égard, un argument que Hitler comme Staline affectionnaient particulièrement, est celui-ci : vous ne pouvez poser A sans poser B et C et ainsi de suite, jusqu’à la fin de l’alphabet du meurtre. C’est ici que la puissance contraignante de la logique semble avoir sa source ; elle naît de notre peur de nous contredire nous-mêmes (…). La force contraignante de l’argument est celle-ci : si vous refusez, vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes, et par cette contradiction, vous retirez tout sens à toute votre vie. Le A que vous posiez domine toute votre vie à travers les conséquences B et C qu’il engendre logiquement »[3].
Rien ne peut échapper à la tyrannie de cette idée, rien ! Aujourd’hui, tout s’idéologise au mépris de la réalité : fake news, complots… Même l’identité est devenue une idéologie !
[1] Arendt Hannah, « Le système totalitaire », Les origines du totalitarisme, Traduction de Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 215. [2] Arendt Hannah, « Le système totalitaire », Les origines du totalitarisme, Traduction de Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 198-199. [3] Arendt Hannah, « Le système totalitaire », Les origines du totalitarisme, Traduction de Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 222.
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