
Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
""Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je donc ? Et si ce n’est pas à présent, alors quand ?", est-il écrit dans Pirké Avot, le Traité des Pères. En seulement quelques mots, ce texte nous donne à voir tout l’enjeu de la relation entre l’individu et le collectif, ainsi que l’exigence et l’urgence à la fois du sens de soi et du sens de l’autre.
Alors que l’on entend de plus en plus parler d’un individualisme croissant de nos sociétés, il est important de le distinguer immédiatement de l’égoïsme avec lequel son amalgame est souvent fait. Penser à soi est une chose ; ne penser qu’à soi en est une autre. Si l’égoïsme est un poison qui conduit à transformer la société en une juxtaposition d’individus que plus rien ne relie, l’individualisme s’attache à donner toute sa place à chacun au sein du collectif. On ne construit aucun collectif, si l’on ne permet pas d’abord à chaque individu de se construire. Beaucoup d’épopées collectives, beaucoup de projets collectifs ont échoué, faute d’avoir su mettre chaque individu en leur cœur, faute d’avoir su développer en chacun sa liberté et donc sa responsabilité.
Ces questions, qui semblent insolubles ou du moins éternelles, trouvent néanmoins aujourd’hui des réponses, ou du moins des pistes de réflexion, nouvelles. En effet, de nouvelles solidarités apparaissent, reposant sur la volonté, la liberté, l’émancipation – en un mot, la responsabilité -, des êtres humains et permettant à chacun d’exister, tout en garantissant le développement du sens de l’autre. Ces solidarités inédites s’inscrivent dans ce que l’on pourrait appeler une « philosophie de l’hybridation »[1], c’est-à-dire des « mariages improbables »[2], réunissant des mondes qui semblent éloignés les uns des autres, voire contradictoires, ou que l’on a absurdement séparés et qui, ensemble, donnent lieu à des dynamiques nouvelles.
Des entreprises[3] ouvrent leurs portes le soir et le week-end à des sans-abri, un club de football et un service de soutien scolaire joignent leurs efforts pour accompagner des jeunes de milieux défavorisés, des cantines scolaires se métamorphosent en restaurants ouverts à tous. Cela commence par là, le fameux « vivre ensemble » dont on entend tant parler : des lieux, des temps partagés.
La langue française est étonnante : les mots « autrui », « altérité », « altruisme » convoquent un imaginaire plutôt positif, or, le verbe « altérer », - ou sa forme pronominale « s’altérer » -, l’est nettement moins. Et pourtant, n’est-ce pas la même idée, celle de se métamorphoser au contact de l’autre, de se découvrir et d’apprendre à se connaître, en allant vers l’autre, de s’augmenter en dépassant ce que l’on est pour mieux devenir celui que l’on pourrait être ? « L’homme devient je au contact du tu », selon les mots de Martin Buber… "Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je donc ? Et si ce n’est pas à présent, alors quand ?""
[1] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
[2] Gabrielle Halpern, « Créer des ponts entre les mondes – Une philosophe sur le terrain », Fayard, 2024.
[3] Gabrielle Halpern, « Créer des ponts entre les mondes – Une philosophe sur le terrain », Fayard, 2024.
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