Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
""On ne fait pas de philosophie avec des bons sentiments". Voilà la conclusion d’un critique littéraire qui n’a visiblement pas apprécié mon dernier livre "Et si le monde était un opéra ?", coécrit avec la mezzo-soprano Marina Viotti. Cette phrase m’a fait énormément réfléchir. J’ai l’immense force et l’immense faiblesse de me remettre en question en permanence, - ce qui est à la fois épuisant et exaltant - ; soit dit en passant, cela doit sans doute être une déformation professionnelle, car qu’est-ce que la philosophie, si ce n’est cette remise en question permanente ? J’accepte donc toutes les critiques avec plaisir, afin de creuser, de travailler, d’essayer d’améliorer ce qui peut l’être.
Mais cela étant dit, ces mots écrits par ce critique littéraire disent quelque chose de notre société qu’il me semble important d’analyser et de partager avec vous. Vous le constaterez, nous voyons et entendons de plus en plus de figures et de voix s’élever autour de nous, qui sont pétries de mauvais sentiments. De nombreux intellectuels pensent avec de mauvais sentiments, beaucoup de personnalités politiques ou encore des artistes, s’expriment, agissent et œuvrent avec des mauvais sentiments. Si donc on ne fait pas de philosophie avec des bons sentiments, il me semble que l’on en fera encore moins avec de mauvais sentiments. Mais cela, évidemment, on ne le dira jamais ! Non, on préfère les mauvaises nouvelles, on préfère se désespérer et désespérer ses enfants, ses amis, son conjoint, ses collègues et ses voisins. On préfère laisser croire qu’il faut éteindre la lumière et boire la ciguë, en attendant que la planète disparaisse. On préfère s’enfermer dans son pessimisme et son cortège d’à quoi bon ! On préfère se trouver mille excuses pour ne pas agir : « c’est trop tard », « on ne nous donne pas assez de moyens », « on n’a jamais fait comme ça », « on a déjà tenté et cela a échoué », « ça ne marchera jamais ». On aura toujours toutes les excuses du monde pour médire sur notre société, sur notre pays, sur nos politiques, sur notre situation personnelle et professionnelle, sur les pays voisins et sur la planète terre. On aura aussi toutes les excuses du monde pour maudire tous ceux qui croient encore qu’ils peuvent essayer de changer un peu le monde ou du moins de le réparer. La vérité est que l’on adore détester ceux qui ont encore une petite dose d’espérance dans ce monde, dans la société et dans l’être humain. On ne leur pardonne pas de devenir notre mauvaise conscience.
Alors, oui, je fais de la philosophie avec des bons sentiments, car pour moi, le vrai philosophe n’est pas celui qui aime la sagesse, mais celui qui aime l’être humain, malgré tout. Je ne sais plus quel écrivain disait que "celui qui désespère ses contemporains est un salaud"… Il avait raison !"
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