
Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
"Toute guerre, quelle qu’elle soit, pose des questions philosophiques : celle de la violence et celle de la mort, en premier lieu ; celle de la possession et de l’ambition ; celle de la force et de la vulnérabilité. Il est impossible de ne pas mentionner également la dimension sociale de la guerre ; j’ai en tête cette phrase de l’écrivain italien Primo Levi : « La guerre, c’est surtout une grande confusion sur le champ de bataille et aussi dans la tête des hommes; très souvent, on ne comprend même pas qui a gagné et qui a perdu, ce sont les généraux et ceux qui écrivent les livres d’Histoire qui le décident après coup ». Il y a une subjectivité de la guerre et dans la guerre qui la rend difficilement conceptualisable ou théorisable.
La guerre pose également la question de la haine et cette question n’est pas anodine aujourd’hui, précisément avec le développement de technologies, de drones ou de robots susceptibles d’être utilisés comme des armes. Le philosophe Günther Anders rappelle d’ailleurs que puisqu’un ordinateur n’est pas capable de haïr, cela le rend d’autant plus fort[1]. En effet, si les guerres étaient auparavant conduites par « des gens capables de haine, à tout prendre, ces gens-là étaient encore des humains. Et ceux qui se haïssaient mutuellement pouvaient à la rigueur cesser un jour de se haïr ; et par là cesser aussi de se combattre ; et par là cesser aussi d’anéantir ; ou peut-être même commencer à s’aimer » [2]… Ce qui n’est pas le cas des ordinateurs, puisqu’ils ne sont pas habités par la haine. « La fin de la haine pourrait bien signaler la fin de l’humanité, parce que maintenant ce ne sont plus nous les hommes qui combattons les hommes ; et que ce ne sont plus des hommes par lesquels nous sommes combattus, nous les hommes » [3].
Enfin, la guerre pose en réalité la question de la relation à l’autre et c’est en ce sens qu’elle peut être abordée sous l’angle de la philosophie. D’ailleurs, dans la vie, en règle générale, la question, le sujet, le problème est toujours la question de la relation à l’autre, qu’il s’agisse de la relation à une autre personne, à un autre pays, à une autre entité. C’est la question essentielle qui nous concerne tous et qui a des implications politiques, sociales, familiales, professionnelles ou encore territoriales. Quelle est la juste relation à l’autre ?
Cette question est au cœur de mes travaux de recherche, puisque la philosophie de l’hybridation est une éthique de la relation à l’autre. Pour y répondre, la figure du centaure, mi-homme et mi-cheval, est très utile. Dans le centaure, quelle est la relation entre la partie humaine et la partie chevaline ? Sont-elles dans une relation de fusion où l’on ne sait plus qui est qui ? Sont-elles dans une relation de juxtaposition où elles coexistent, mais chacune mène sa propre vie dans l’indifférence de l’autre ou sont-elles dans une relation d’assimilation, c’est-à-dire qu’il y a une partie qui essaie de prendre le pas sur l’autre et de la faire disparaître? Ces trois types de relation, - la fusion, la juxtaposition ou l’assimilation -, sont les trois pièges de la relation à l’autre, et cela est vrai dans le domaine amical, professionnel, amoureux ou géopolitique".
[1] Günther Anders, La haine, Editions Payot & Rivages, Paris, 2009, p. 96.
[2] Günther Anders, La haine, Editions Payot & Rivages, Paris, 2009, p. 96.
[3] Günther Anders, La haine, Editions Payot & Rivages, Paris, 2009, p. 97.
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