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Radio RCJ: Congrès des Maires: "De la vitalité des territoires et de ceux qui les habitent"

Dernière mise à jour : il y a 2 jours


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


""Une ville finit par être une personne", écrivait Victor Hugo. Cette phrase prend tout son sens lorsque l’on arpente Paris, Le Creusot, Marseille, Lyon, Strasbourg, Cholet ou Belfort. Oui, une ville finit par être une personne, avec un caractère, des forces, des vulnérabilités, des rêves cachés, des ambitions avouées, des expériences qui la font grandir ou vieillir…Les villes ne sont pas seulement des personnes, elles prolongent aussi nos propres personnes en jouant un rôle de metteur en scène, de décorateur ou de paysagiste de notre quotidien. Les territoires dans lesquels nous vivons, habitons, travaillons ou faisons du tourisme peuvent être le prolongement de nous-mêmes autant que nous sommes susceptibles nous-mêmes de les prolonger… Il s’agit peut-être de ce que nous pourrions appeler « l’hospitalité réciproque »[1] : c’est-à-dire à la fois cette capacité d’un territoire à nous accueillir et cette capacité que nous avons, nous, êtres humains, de l’accueillir en nous, dans une forme d’hybridation[2] qui conduit à une « métamorphose réciproque ». Cela fonctionne dans les deux sens, comme tout ce qui relève de l’art de la relation[3].

 

Alors que le géographe Armand Frémont avait théorisé la notion « d’espace vécu », le neurophysiologiste Alain Berthoz prolonge la réflexion en la complétant par deux autres notions : celle « d’espace conçu » et celle « d’espace perçu ». Il opère également une distinction entre espace « aliéné », - soit un espace que l’on ne pense plus, que l’on ne voit plus, auquel on ne prête plus attention -, et espace « vécu », - où l’on se projette et qui se dilate à mesure du développement de nos émotions. En mettant en perspective ces notions avec les travaux d’Henri Lefebvre[4], philosophe et urbaniste, des pistes de réflexion s’ouvrent. En effet, pour lui, il ne peut y avoir changement (de vie, de société, de comportement) que s’il y a production d’un espace approprié. Il parle d’ « art de l’espace », c’est-à-dire que l’individu ne fait pas seulement vivre un espace, il le produit en quelque sorte, par ses émotions et ses actions, par ce qu’il y projette, également. Comme si les territoires n’existaient pas vraiment et que c’était nous, nous qui les habitons, qui les traversons, qui les regardons, qui les « marchons », qui les créions.

 

L’idée d’un espace comme « produit » est très puissante, lorsqu’elle est mise en perspective avec la question de la dévitalisation et de la revitalisation des territoires. De quelle vitalité parle-t-on ? Et quelle est la valeur de cette vitalité ? La vitalité n'est-elle pas, par ailleurs, éminemment subjective et peut-être un petit peu trompeuse ? La vitalité se mesure-t-elle au bruit, aux flux, aux interactions sociales ? Ne devrait-elle pas plutôt s’évaluer en fonction de la capacité des êtres humains à exercer un art de l’espace ? Produit-on davantage l’espace dans des territoires urbains que dans des territoires ruraux ? L’art de l’espace n’est-il pas incommensurablement plus difficile à saisir ? Les politiques publiques devraient en tout cas être construites pour rendre cet art de l’espace possible..."


[1] Gabrielle Halpern, « Penser l’hospitalité », coécrit avec Cyril Aouizerate, Editions de l’Aube, 2022.

[2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.

[3] Gabrielle Halpern, « Créer des ponts entre les mondes – Une philosophe sur le terrain », Fayard, 2024.



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