Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
"Dans un recueil de nouvelles, l’écrivain franco-sénégalaise Fatou Diome écrit que « personne ne s’abaisse à reconnaître une qualité à la haine, elle en a pourtant une indéniable : la sincérité »[1]. En effet, explique-t-elle, s’il y a bien un sentiment que l’on ne peut pas feindre, c’est celui de la haine. On peut feindre l’amour, on peut feindre la pitié, on peut feindre la tristesse, on peut feindre la joie, mais la haine, elle ne se feint pas. Cette idée, qui fait beaucoup réfléchir, prend une coloration toute particulière aujourd’hui, au regard de l’actualité. Le déferlement de haine contre les Juifs auquel nous assistons fait rejaillir des mots, des gestes, des images que l’on croyait appartenir aux livres d’Histoire. Vous savez, ces fameux livres d’Histoire qui pesaient lourd dans nos sacs à dos d’écolier et qui nous présentaient le passé comme une frise chronologique avec une grande flèche conquérante vers la droite, semblant aller vers toujours plus de progrès, toujours plus de droits de l’Homme acquis, toujours plus d’humanité. Ces grandes flèches nous ont trompés ; elles ne vont nulle part, elles tournent sur elles-mêmes. On nous avait dit que ceux qui oublient le passé sont condamnés à le revivre, mais nous constatons aujourd’hui qu’avoir de bonnes notes en Histoire ne constituent pas un antidote contre « sa grande hache », pour reprendre les mots de Georges Perec.
En 1936, Stefan Zweig écrivait dans son essai Conscience contre violence que « chaque époque se choisit un groupe de malheureux sur qui elle puisse déverser la haine qu’elle a accumulée ». Aujourd’hui, la haine accumulée déborde, explose, sous de nouvelles formes, de nouveaux visages, de nouvelles voix, mais il s’agit toujours de la même haine, ignominieusement sincère et insupportablement incompréhensible. Une haine qui a toujours de bonnes excuses et qui est toujours à l’affût de nouveaux prétextes. Que cette haine se cache avec une mauvaise foi perverse ou qu’elle se vomisse avec un naturel nonchalant, elle est d’une sincérité barbare.
Mais Zweig écrivait aussi que si « l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement, une suite de victoires et de défaites », si « un droit n’est jamais conquis définitivement ni aucune liberté à l’abri de la violence, qui prend chaque fois une forme différente », si « l’histoire nous oblige de temps en temps à d’incompréhensibles reculs » et si en « ces sinistres heures, l’humanité semble retourner à la fureur sanglante de la horde et à la passivité servile du troupeau », « après la marée, les flots se retirent ». Oui, « après la marée, les flots se retirent ». Il faut poursuivre sans relâche le combat"
[1] Fatou Diome, De quoi aimer vivre, Albin Michel 2021, p. 48.
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