Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Le progrès technologique rend peu à peu tangible ce rêve de créer un « méta-univers », un monde virtuel, persistant, interactif, interconnecté et immersif. A la réalité nue vient s’ajouter des réalités parées de qualificatifs : réalité virtuelle, réalité augmentée, réalité fictionnelle…
La réalité est-elle devenue ennuyeuse au point qu’elle ne nous suffit plus et que nous avons besoin d’en inventer d’autres et de la démultiplier ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à nous contenter de la seule réalité ? L’aurions-nous déjà épuisée ?
Face à cette ressource naturelle limitée, nous nous sommes lancés dans la création d’autres mondes et dans la multiplication d’objets pour les enrichir et les densifier. La réalité, c’est le monde qui nous entoure ; c’est la nature, c’est aussi l’Autre...
Mais quel est l’aiguillon qui nous pousse sans cesse vers la création d’autres réalités ? Cet aiguillon s’inscrit dans une histoire ancienne, qui porte en bandoulière les angoisses et les désirs de l’être humain.
De l’Antiquité à nos jours, trois temps apparaissent, qui correspondent à trois manières successives d’aborder le monde : l’humanisme, l’anthropocentrisme et le transhumanisme. L’humanisme consistait à expliquer la Nature et à la comprendre pour anticiper ses événements, en construisant progressivement les sciences. Puis, nous sommes passés à l’anthropocentrisme où il ne s’agissait plus seulement d’expliquer, mais de maîtriser la Nature, nous en rendre « comme maîtres et possesseurs », comme l’écrivait le philosophe René Descartes. Et nous voilà arrivés dans notre monde contemporain, un monde que nous ne nous contentons plus de vouloir expliquer ou dominer, mais que nous entendons recréer, de toute pièce. Il n'y a pas de planète B? Tant pis, nous allons en créer une! Dans ce désir de re-création, l’être humain entend annihiler toute possibilité d’imprévisibilité ; il entend refuser à la réalité toute possibilité de lui échapper.
L’être humain accélère la création d’autres mondes qu’il est certain de pouvoir maîtriser totalement. Le monde ne m’obéit-il pas ? J’en crée un virtuel, qui entrera dans mes cases et qui ne me surprendra pas. Cela fait des siècles que, au mieux, nous passons à côté d’une grande part de la réalité ; au pire, nous la maltraitons par nos désirs de domination totalitaire sur elle. Et la tentation du métavers, - qui est une tentation de réalités alternatives obéissantes et prévisibles -, en est un cruel symptôme.
Or, c’est oublier que, comme le disait Cesare Pavese, « l’imagination humaine est immensément plus pauvre que la réalité »… N’est-il pas temps de nous réconcilier avec elle ?
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