Interview publiée dans le magazine La Vie le 9 juillet 2021
Aujourd’hui tout est « hybride », de nos modes de vie en télétravail à certaines voitures. Ce phénomène est-il un « plus » pour l’homme ?
Est « hybride » ce qui est mélangé, hétéroclite, contradictoire. Autrement dit, c’est le mariage improbable, c’est tout ce qui n’entre pas dans nos cases ! Tout n’est pas encore hybride, mais tout est en train de le devenir et la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer ce phénomène. Prenez les villes : les projets de végétalisation se multiplient, les fermes urbaines se développent au point que la frontière entre ville et campagne tend à devenir de plus en plus ténue.
Cette hybridation de la nature et de l’urbanisme se fait parallèlement à celle des univers professionnels, des formations et des métiers : les universités, les laboratoires de recherche, les entreprises, les administrations publiques commencent à collaborer de manière plus étroite ; ce qui enrichit et entrecroise les formations et les métiers, accroît la créativité, permet une meilleure collaboration entre des mondes qui, jusqu’à présent, ne « parlaient pas la même langue » et met un terme à ces terribles silos à travers lesquels nous avions une vision morcelée du monde. Désormais, on se sent plus libre d’être juriste-designer, philosophe-startuper ou physicien-avocat !
Nous voyons aussi se multiplier les « tiers-lieux »…
Oui ! Des endroits inédits mêlent industrie, artisanat, numérique, recherche ou culture… Demain, tous les lieux seront des tiers-lieux et mêleront des activités, des publics, des usages différents : cela va toucher les écoles, les musées, les restaurants, les hôtels ou encore les galeries marchandes. On voit déjà des expositions de peinture dans les centres commerciaux ou encore des crèches dans des maisons de retraite ! Enfin, les entreprises prennent conscience de leur responsabilité sociétale ; l’économie sociale et solidaire, une économie hybride par excellence – puisqu’il s’agit d’hybrider des logiques économiques et des logiques sociales et solidaires – pourrait bien devenir le modèle de demain.
Ces hybridations peuvent-elles nous déstabiliser ?
Oui, mais elles nous rendent meilleurs ! D’abord, elles nous apprennent que nous devrions remettre en question nos vieilles cases, en réinventant la ville, l’école, le musée ou l’entreprise ; cela nous rendra plus intelligents et plus créatifs, plus humbles et moins dogmatiques. Nous le voyons à l’aune de la crise sanitaire : pour les entreprises, par exemple, la capacité d’hybridation de secteurs, de produits ou de services peut être une stratégie de survie. Ces hybridations nous apprennent que les logiques identitaires, d’où qu’elles viennent, ne mènent à rien de bon qu’à enfermer les autres et à s’enfermer soi-même.
L’hybridation, ce n’est ni la fusion, ni la juxtaposition, ni l’assimilation ou l’annihilation de l’autre, mais la métamorphose de chacun. Elle n’est possible que si chacun accepte de sortir de son identité pour faire un pas vers l’autre. L’hybridation sociale, économique, professionnelle, territoriale, générationnelle constitue le grand enjeu politique des années à venir pour détruire les fractures actuelles et elle est une chance pour l’être humain, parce qu’elle constitue une pulsion de vie !
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