La philosophe Gabrielle Halpern a publié dans Les Échos une tribune dans laquelle elle partage sa vision de l'hybridation, - pensée qu'elle développe depuis près de quinze ans -, en l'inscrivant dans la thématique choisie en 2024 par les Rencontres économiques d'Aix-en-Provence au cours desquelles elle intervient: " Relier les mondes".
"Alors que l’on reproche aux philosophes d’être abstraits et déconnectés du réel, il se pourrait que leur influence soit plus grande que nous ne le pensons. En effet, depuis que René Descartes nous a conseillé de « diviser les difficultés en parcelles pour mieux les résoudre », nous avons cru que nous pouvions résoudre tous les problèmes… En les découpant en morceaux ! C’est ainsi que nous avons passé des siècles à voir le monde d'une manière morcelée ; cela a influé sur nos métiers, notre organisation du travail, nos filières, nos industries, nos sciences, nos formations, nos politiques publiques ou encore nos territoires. Aujourd’hui, notre société souffre des silos qui nous divisent, des cases qui nous enferment, des étiquettes que nous passons nos vies à coller sur les uns et les autres. N'est-il pas temps de créer des ponts entre les mondes ?
De fait, de petits signaux faibles donnent des raisons d’espérer, en témoignant de ce que nous sommes peut-être en train d’apprendre à voir le monde et à agir autrement. Et si l’hybridation[1] était la grande tendance du monde qui vient?
L’hybridation, c’est « le mariage improbable »! C’est le fait de « mettre ensemble des métiers, des sciences, des générations, des secteurs, des matériaux, qui, a priori n’avaient pas grand-chose en commun, voire qui pouvaient sembler contradictoires, et qui, ensemble, donnent lieu à de nouveaux usages, de nouveaux lieux, de nouveaux métiers, de nouveaux modèles, de nouvelles formes de gouvernance ou de partenariat… De nouveaux mondes, en somme »[2]!
Au sein des écoles, des laboratoires de recherche ou des entreprises, on constate de plus en plus de rapprochements interdisciplinaires et des collaborations intersectorielles. Des incubateurs de startups mêlent des résidences d’artistes, des épiceries solidaires et des ateliers d’artisans. Des partenariats inédits entre des secteurs d’activité se multiplient, faisant émerger de nouveaux modèles économiques. Des investisseurs aux industriels, en passant par les agriculteurs et les commerçants : les métiers se redéfinissent, s’élargissent, s’hybrident avec d’autres. Nous assistons à l'émergence de nouvelles combinaisons et re-combinaisons et ces phénomènes créent de nouveaux liens.
Demain, on évaluera une entreprise, une association, une politique publique selon sa capacité à relier les mondes[3] ; autrement dit, par rapport à sa capacité à « hybrider »[4]. Tant que chaque acteur de la Cité restera enfermé dans sa case, il n’y aura pas de contrat social.
Il est venu le temps de remettre en question les frontières absurdes et artificielles que nous avons créées entre les métiers, entre les secteurs, entre les formations, entre les territoires, entre les générations et de relier les mondes !"
[1] Gabrielle Halpern, Penser l’hybride, Thèse de doctorat en philosophie, 2019.
[2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
[3] « Relier les mondes » : thématique des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2024.
[4] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
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