L’année 2023 est marquée par une grande émulation technologique : après le succès mondial de VivaTech, les conjectures dystopiques autour de ChatGPT et les perspectives de crise au sein de l’écosystème startup, un temps d’arrêt réflexif s’impose. La philosophe Gabrielle Halpern a accordé une interview au média Maddyness, afin de partager son regard sur le numérique, les startups, l'entrepreneuriat, le monde du travail et l'innovation.
Extrait: "Il me semble important de rappeler que l’innovation pour l’innovation est absurde. Une innovation est utile si elle a du sens pour les générations futures et c’est à leur aune qu’il faudra établir ses critères d’évaluation. S’agissant de ChatGPT, pourquoi l’avons-nous créé ? Si l’humanisme était la proclamation de la singularité de l’être humain par rapport aux autres animaux et l’anthropocentrisme, celle de sa supériorité par rapport au reste du vivant, dans le transhumanisme, l’être humain ne se positionne plus par rapport aux autres animaux, par rapport au monde ou à la nature, il ne se positionne plus que par rapport à lui-même.
En tentant de créer une puissance intellectuelle parfaite pour calculer, se remémorer, raisonner ou encore décider, l’être humain ne peut pourtant pas s’empêcher de se positionner par rapport à sa propre intelligence imparfaite et il ne fait que reporter ses caractéristiques cognitives et ses biais sur les machines qu’il imagine et conçoit. Nous pensons ressembler à des dieux, et, recherchant l’immortalité, l’omniscience et l’omnipotence, nous ne faisons que nous reproduire nous-mêmes. ChatGPT ne nous apporte pas de connaissances, mais des informations et il rend ainsi notre faculté de penser paresseuse.
Or, les philosophes des Lumières expliquaient que la liberté, – la capacité d’émancipation des êtres humains -, résidait précisément dans la faculté de penser : « Je pense donc je suis », disait Descartes, avant eux. Sans cela, qui sommes-nous ? Qui allons-nous devenir? Il va donc falloir construire une véritable éthique de l’IA (...).
Il existe des innovations extraordinaires au niveau agricole, sanitaire… Mais elles sont parfois escamotées par l’innovation technologique qui prend toute la lumière. Nous vivons dans l’imaginaire collectif selon lequel le numérique peut sauver le monde : le mythe de l’innovation technologique qui serait une réponse quasi magique à une problématique identifiée. Or, il existe de nombreux autres types d’innovations, – sociales, organisationnelles, culturelles, sectorielles, partenariales, professionnelles ou en termes de gouvernance -, qui peuvent jouer un rôle immense. Un certain nombre de créateurs de startup ont d’ailleurs autant à cœur de développer une technologie originale que d’imaginer un modèle organisationnel innovant (...).
Saint-Augustin disait : « L’être humain a été créé pour qu’il y ait du commencement ». Ce qui fait la singularité de l’être humain est sa capacité à créer. Il est donc par essence un startuper, un entrepreneur ! La force des startups réside dans leur capacité à s’inscrire dans cette dimension humaine de commencer quelque chose. Les entreprises plus établies l’ont parfois oublié. Pourquoi ne pas s’inspirer des modèles de startups ou d’autres formes de collectifs pour faire évoluer leurs pratiques ?", Gabrielle Halpern
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