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Capital : Il faut remettre les résidents des maisons de retraite au coeur du monde

Dernière mise à jour : 25 juil. 2021


Interview de Gabrielle Halpern dans Capital Magazine le 12 février 2021


Capital : Dans votre livre* paru en 2020, vous prônez une hybridation de la société. Derrière cette expression, vous estimez notamment qu’il ne faut pas opposer jeunes et vieux ?


Gabrielle Halpern : Mon thème de recherche principal, c’est l'hybridation. Cette approche peut toucher tous les sujets de société ; de l’éducation à l’innovation, en passant par l’écologie. C’est un thème suffisamment riche qui concerne tous les domaines de notre vie. Mais, depuis toujours, l’être humain a eu du mal avec l’hybride ; en gros, ce qui ne rentre pas dans les cases. Nous avons une rationalité qui est une vraie machine à produire des cases. Nous ne sommes plus capables d’accepter ce qui n’y rentre pas. On va parler en termes de “génération”, il y a “les vieux”, “les jeunes”. Dans les programmes politiques, il existe des segments électoraux avec des mesures pour les personnes âgées, les jeunes. Cela conduit à des fractures, mais aussi à donner l’illusion que, finalement, il y a les uns, d’un côté et les autres, d’un côté. Cette situation est encore plus marquée aujourd’hui avec le Covid. Arrêtons avec les cases !


Capital : Que faudrait-il faire pour éviter ces “cases” ?


Gabrielle Halpern : Dans le domaine économique, on a inventé un secteur qui est la silver économie (entreprises qui sont spécialisées dans la production de biens ou de services pour personnes âgées, ndlr). Mais cela ne devrait pas être un secteur, toutes les entreprises et toutes les institutions publiques, quel que soit leur domaine d’activité devraient s’interroger sur la manière dont elles vont pouvoir s’adresser aux personnes âgées. Aujourd’hui, les questions sur la transition numérique et la transition écologique sont devenues omniprésentes. Mais il y a une grande transition qui avance dans l’ombre, la transition démographique, c’est-à-dire le vieillissement de la population. On n’en parle pas, c’est un angle mort. Dans les entreprises, il y a des directions en charge de la transition numérique, d’autres, du développement durable, mais pour la transition démographique, il n’y a aucune réflexion. Il faudrait se demander ce que pourrait être une entreprise intergénérationnelle ; surtout que l’on sait qu’en 2060, près d’un tiers de la population française aura plus de 60 ans.


Capital : Vous dénoncez aussi cette façon de penser pour les maisons de retraite ?


Gabrielle Halpern : Il faut déjà s’interroger sur le mot même de retraite. Retraite, étymologiquement c’est “se retirer”. Cela veut dire que l’on retire ces gens du monde. Je pars en maison de retraite, c'est comme si je me retirais du monde. Cette idée-là est terrible. Il faut repenser ces établissements pour remettre les résidents au cœur du monde. Il faudrait faire en sorte que les maisons de retraite soient des lieux de vie et d’apprentissage.


Capital : Pourtant, en dehors de cette période de pandémie, de plus en plus d’établissements organisent des opérations pour ouvrir leurs portes...


Gabrielle Halpern : C’est bien, mais il faut le faire puissance 10.000 ! Il ne s’agit pas seulement de faire venir des tableaux dans une maison de retraite pour une exposition, mais il faut faire en sorte que les publics se croisent. Par exemple, pourquoi n’y aurait-il pas un incubateur de startups dans une maison de retraite ? S’il y a des startups dans le domaine de la réalité augmentée, cela pourrait être intéressant qu’elles y soient hébergées et qu’elles utilisent les maisons de retraite comme terrain d’expérimentation pour faire voyager les résidents dans un autre pays ou leur faire visiter virtuellement un musée. On peut imaginer plein de choses comme l’organisation d’expositions ouvertes à tous, installer une salle de sport, proposer des cours d’informatique aux résidents comme aux voisins. On a l’impression que la maison de retraite est posée là, comme un îlot au milieu de l’océan sans aucun lien avec le quartier. Or, si on en fait un lieu ouvert, pleins de gens du quartier pourront y aller même s’ils ne connaissent personne au sein de la maison de retraite.


Capital : Pour quelles raisons ces types de regroupement restent-ils rares ?


Gabrielle Halpern : Tous les amateurs de normes vont vous dire : ‘Attention, c’est compliqué, un bâtiment pour les personnes âgées nécessite de répondre à des normes précises. C’est impossible de le faire avec une crèche, car chaque public et chaque usage a son ensemble de normes et parfois elles peuvent entrer en conflit’. Mais il faut se poser ces questions. Si l’on ferme le ban à cause de ce problème de normes, on passe à côté de quelque chose. Alors que finalement on voit que dans plein de domaines différents, on peut mettre en place l’hybridation de ces usages. On tend vers cela. Quand on veut, c’est possible ! L’autre problème vient du fait que ce sont toujours les mêmes acteurs qui construisent les maisons de retraite. Les promoteurs doivent travailler avec des acteurs inédits ! Si, par exemple, une entreprise dans le domaine de la culture se mettait à construire une maison de retraite, elle aurait une toute autre tête. Si l’on veut arriver à quelque chose de créatif, il faut croiser des mondes, des disciplines, des usages, des matériaux. Pour innover, il faut hybrider ! Enfin, il faut que les décideurs publics comprennent qu’ils font du mal, en cloisonnant artificiellement les individus.


Capital : Ne craignez-vous pas que dans la situation actuelle, ce débat soit jugé déplacé ?


Gabrielle Halpern : C’est vrai, on m’a dit que ce n’est pas maintenant, avec le Covid, qu’il faut mélanger les jeunes et les personnes âgées. Mais ce ne sera jamais le bon moment ! Je ne dis pas de le faire demain, car cela nécessite des sujets d'aménagement urbain, de construction immobilière. Il y a tout un ensemble de choses à construire, nous sommes plutôt dans un délai de 5 ans à 10 ans. Mais c’est maintenant qu’il faut y réfléchir. Je pense qu’au contraire, pour la première fois, il y a enfin un coup de projecteur qui a été mis sur les maisons de retraite. La lumière est crue... J’espère que cela va provoquer une prise de conscience radicale et que chacun se dira que l’on ne peut plus continuer comme cela.




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