A l'occasion de la présentation de la nouvelle promotion 2021 des Entrepreneurs sociaux d'Ashoka France, Gabrielle Halpern était invitée à s'exprimer en tant que Grand Témoin sur le thème "Réparer le vivant - Réparer les vivants".
Réparer le vivant, réparer les vivants… Cela fait depuis des siècles que nous avons transformé notre cerveau en gigantesque usine de production massive de cases. Dans notre tête, cela se passe un peu comme dans le film des Temps modernes de Charlie Chaplin, à la différence près que ce qui est sur les chaînes de montage, c’est la réalité. Et les chaînes de montage sont plutôt des chaînes de démontage ! La réalité y est soigneusement découpée, triée et classée. Et lorsque je dis « réalité », je parle du monde qui nous entoure, je parle de la Nature, je parle de l’Autre, je parle de l’étranger.
Sans le savoir, peut-être sans le vouloir, nous passons notre vie à découper les choses, les citoyens, les idées, les territoires, les situations, les êtres humains, les activités, les métiers, les politiques publiques, les générations, les secteurs, les sciences ou encore les valeurs pour les ranger dans des cases.
Sans le vouloir, nous maltraitons la réalité, parce que nous n’avons pas compris qu’elle contient une part importante d’incasable, d’insaisissable, de contradictoire, d’hétéroclite…
Sans le savoir, peut-être sans le vouloir, nous passons complètement à côté d’une grande part de la réalité… Tout simplement, parce que le vivant est hybride et que nous l’avons oublié!
Depuis un certain nombre d’années, on entend souvent dire qu’il y a une crise : une crise financière, une crise institutionnelle, une crise environnementale, une crise économique, une crise territoriale, une crise sociale… A mon sens, la crise, la véritable crise que nous connaissons, c’est celle de notre rapport à la réalité.
Réparer le vivant, ce sera donc d’abord apprendre à nous réconcilier avec la réalité et à briser ces cases dans lesquelles nous tentons sans cesse de l’enfermer.
Réparer les vivants, cela signifie qu’il faudra arrêter de maltraiter ceux qui sont différents de nous, ceux qui n’entrent pas dans nos cases, ceux qui ont un pied dans plusieurs mondes, ceux qui ne sont jamais dans le bon guichet.
Réparer le vivant, les vivants, c’est les hybrider ! Hybrider, c’est-à-dire construire des ponts là où il y avait des murs, créer des liens entre des intérêts particuliers pour inventer et édifier peu à peu l’intérêt général. Hybrider, c’est-à-dire faire des mariages improbables et associer des êtres vivants, des choses, des activités, des usages, des générations, des mondes, des exigences qui a priori n’avaient rien à voir ensemble.
Cela vous semble-t-il abstrait ? Alors, soyons concrets ! Mélangeons les maisons de retraite, les services de coworking, les résidences d'artiste, les incubateurs de startups, les salles de sport, les auberges de jeunesse et les jardins-potagers ! Hybridons l’économie et la solidarité pour que l’économie sociale et solidaire soit l’économie de référence de demain ! Transformons les gares en musées et les musées en écoles ! Hybridons les générations, plutôt que de les juxtaposer et de les opposer ! Mixons les matières pour fabriquer des matériaux inédits et durables ! Hybridons les transitions numérique, écologique et démographique ! Croisons les secteurs, métissons les métiers, confondons tous les lieux pour en faire des tiers-lieux ! Pour réparer le vivant, pour réparer les vivants, que nous passons nos vies à morceler, hybridons tout et hybridons-nous !
Comentários